l'ÉGLISES LOCALE, ÉGLISES RÉGIONALES ET ÉGLISE ENTLERE

par Hervé Legrand, o.p.

[Du livre "L'église à venir", 1999, 277-308]

Depuis une dizaine d'années, les relations entre les Églises locales et le Siège romain sembient être entrées dans une nouvelle phase de tensions. Un certain nombre de mesures, souvent d'ordre canonique, indiquent apparemment la volonté du Saint Siège de parvenir à une subordination plus étroite des Églises locales dans le cadre de la communion hiérarchique. Plusieurs documents très récents en témoignent. Par exemple, en 1998, après avoir affirmé que l'existence des conférences épiscopales est suspendue à l'acte du Saint-Siège qui les constitue et détermine leurs pouvoirs (n. 13), le motu proprio Apostolos suos a retiré à ces mêmes conférences le magistère authentique1 que leur avait reconnu le Code de droit canonique de 19832. Désormais elles ne pourront exercer de magistère que moyennant la recognitio romaine3, à moins de s'être prononcées unanimement4 sur l'enseignement qu'elles entendaient délivrer. Le même document précise ensuite que: "les évêques réunis dans la Conférence épiscopale veillent surtout à suivre le magistère de l'Église universelle et à le faire connaître opportunément au peuple qui leur est confié» (n. 2 l). Désormais verrait-on donc en elles surtout un relais de l'enseignement du Saint-Siège? Ce dernier se réservant, sinon le monopole de l'interprétation de la foi chrétienne pour toute l'Église, du moins son strict contrôle et sans doute même l'initiative en ce domaine5?

On peut effectivement repérer d'autres initiatives romaines qui vont dans ce sens de l'affirmation d'une pleine souveraineté se suffisant à elle-même. C'est ainsi qu'en 1997, la Congrégation pour les évêques et la Congrégation pour l'évangélisation des peuples avalent publié conjointement une Instruction6 interdisant aux synodes diocésains de se prononcer, même sous la forme d'un simple «vœu à transmettre au Saint-Siège», sur quelque sujet que ce soit concernant «des thèses ou des positions qui ne concordent pas avec la doctrine perpétuelle de I'Eglise ou du Magistère pontifical ou concernant des matières disciplinaires réservées à l'autorité ecclésiastique supérieure ou à une autre» (n.IV, 4). Ce qui revient à dire que les Églises locales ne peuvent avoir un témoignage de foi qui différerait dans son expression un tant soit peu du magistère pontifical ou en tout cas q'en matière disciplinaire elles ne sont pas habilitées à faire la moindre suggestion. Il ne s'agirait, en effet, dans l'un et l'autre cas, que de vœux à transmettre à l'autorité.

Le motu proprio Ad tuendam fidem7 avait précédé de trois jours la publication d'Apostolos suos. La Congrégation pour la Doctrine de la foi ne l'a pas commenté directement. Mais elle a publié, un mois plus tard8, un Commentaire de la Professio Fidei qu'Ad tuendam fidem sanctionnait. Ce Commentaire va au-delà des affirmations formelles du motu proprio lui-même et semble élargir le champ de l'infaillibilité, par delà la Révélation, à ces vérités qui lui sont nécessairement liées par un rapport soit logique soit historique9. On y lit, en effet, que ces vérités «peuvent être enseignées infailliblement par le Magistère ordinaire et universel comme une sententia definitive tenenda» (n. 6), et on semble, de plus, affirmer que c'est une prérogative papale de pouvoir «attester», «confirmer» ou «réaffirmer» par simple déclaration (i.e. "sans recourir a une définition solennelle") qu'une telle "vérité est déjà propriété de l'Eglise et par elle infailliblement transmise" (n.9). Ainsi à travers ses documents les plus récents, le Saint-Siège se donne les instruments d'une souveraineté doctrinale et disciplinaire lui permettant non seulement d'interdire aux synodes des Eglises locales et aux conférences épiscopales toute expression «non-conforme», mais aussi de trancher les controverses doctrinales de façon définitive, sinon infaillible, sans consulter expressément les évêques et sans passer par la forme solennelle définie par Vatican I. Quoi qu'il en soit de la réception du Commentaire de la Professio Fidei, par les évêques et les théologiens - il est encore trop tôt pour l'évaluer -, et quoi qu'il en soit de la justesse de notre interprétation de ce texte dont ni le statut ni l'écriture ne sont vraiment clairs10, il suffisait de l'évoquer dans ses thèmes généraux, en lien avec les autres documents les plus récents, pour bien réaliser que le problème qui avait tellement mobilisé Vatican II sous le nom de "collégialité" est à nouveau à l'ordre du jour! Quel est le juste rapport entre les Églises locales et l'Église entière?

Il est d'autant moins aisé de prévoir comment cette question, actuellement en évolution, se résoudra que tous les documents romains ne vont pas dans le même sens; mentionnons au moins l'encyclique Ut Unum Sint11 difficilement compatible en ses intentions avec les documents précités.

Pour contribuer à la clarification du débat actuel nous en ferons sommairement l'histoire depuis Vatican II (I). Après cette entrée en matière concrète, mettant l'accent sur la terminologie (travail qui s'impose d'autant plus que le dernier concile ne s'y est pas attelé), nous nous efforcerons de dégager les options de théologie systématique et pastorale en jeu dans les discussions actuelles et d'en dégager l'actualité œcuménique et missionnaire (II).

I. Une description empirique de quelques tensions récentes au sein de l'Église catholique au sujet des Églises locales

L'histoire récente pourrait se résumer en une formule: après l'érosion de la centralisation romaine à Vatican II et dans la suite, on semble passer à une nouvelle affirmation de la centralité de Rome.

1.1. Vatican II avait représenté une certaine érosion de la centralisation romaine

Par sa thématique bien sûr, mais déjà comme événement, Vatican Il avait représenté un desserrement de la centralisation romaine, si caractéristique de la période qui va de Ple IX à Ple II. A la faveur de Vatican II, en effet, une série d'acteurs de la vie de l'Église qui, entre les deux conciles du Vatican, se voyaient reconnaître une place d'auxiliaires subordonnés, ont retrouvé une marge d'initiative, quand ils n'ont pas conquis les premiers rôles. C'est probablement vrai déjà des religieux mais certainement encore plus des théologiens et des évêques. Sous les projecteurs des médias, ils étalent apparus comme des novateurs capables de proposer des solutions retenant l'attention au sujet de problèmes restés jusqu'alors sans réponse convaincante. Après le concile, l'attention s'étant déplacée "du centre à la périphérie", comme on le disait à l'époque, à la faveur de thèmes comme la collégialité, l'œcuménisme et bientôt l'inculturation, ces groupes ont gardé la vedette au point d'apparaître désormais dans l'opinion publique (ou d'y être présentés) comme des auxiliaires non plus subordonnés mais concurrents de la centralité romaine, qui en subissait une certaine érosion, qu'elle connaissait pour d'autres raisons encore.

De fait, à la fin du pontificat de Paul VI, la papauté paraît affaiblie. La Curie romaine est sous pression: les techniques de contrôle, mises en place si efficacement depuis Vatican I, perdent leur capacité d'emprise et ne réussissent plus à contenir les manifestations de "contestation", de "dissenso" ou encore de "public dissent", comme le disent les journalistes, en un vocabulaire qui varie d'un pays à l'autre, pour rendre compte de phénomènes assez similaires. Même les prises de position doctrinales du Saint-Siège sont ouvertement contestées, non seulement par des évêques et des théologiens, mais par des conférences épiscopales entières, comme lors de la crise dramatique qui a suivi la publication de l'encyclique Humanae Vitae (1968) si longtemps attendue parce que le pape avait soustrait le dossier au concile pour le traiter personnellement. Par ailleurs dans les relations avec les chrétiens d'autres confessions, le pape d'après Vatican II voit avec évidence qu'il ne peut plus, comme ses prédécesseurs, inviter au retour à Rome: il reconnaîtra publiquement que «le pape, nous le savons bien, est sans doute l'obstacle le plus grave sur la route de l'œcuménisme" 12. Sur d'autres points où ses prédécesseurs étalent plus assurés de leur compétence, il doit également reconnaître, comme dans le domaine de l'éthique sociale, que la papauté n'est plus en mesure de prononcer une parole universellement valable:

Face à des situations tellement variées […] il nous est difficile de proposer une solution qui ait valeur universelle. Telle n'est pas […] notre mission […], i1 appartient aux communautés chrétiennes d'analyser la situation propre de leur pays de discerner avec l'aide de l'Esprit-Saint, en communion avec les évêques responsables, les options et les engagements qu'il convient de prendre13.

1.2. De 1978 à nos jours: chacun doit-il reprendre sa place coutumière dans l'Eglise?

Dès son accès à la papauté, Jean-Paul II semble avoir perçu comme anormale bien des aspects de la situation dont il héritait. Après coup, on peut voir assez clairement qu'il a voulu reprendre l'initiative pour le pape dans tous les domaines. On peut se hasarder à dire que si stratégie il y a eu, elle était relativement simple et clairement lisible: faire reprendre à chacun de ces groupes que l'on a mentionnés, devenus apparemment des concurrents, la place d'auxiliaires dont ils n'auraient jamais dû se départir. Cette "stratégie" commence par agir sur le maillon le plus faible, celui des théologiens dont les prises de parole doivent se subordonner à celle du pape et des évêques, c'est-à-dire au magistère. Ensuite les ordres religieux, qui comptent nombre de théologiens et d'ouvriers apostoliques, doivent être plus fidèles aux orientations du Saint-Siège et des évêques locaux. Ces derniers enfin doivent aussi, pour le bon ordre dans l'Église, reprendre conscience du fait que leur collège a un chef.

1.2.l. Le service des théologiens est un service subordonné.

Les théologiens avalent brillé à Vatican II: auprès de l'Église enseignante, ils étalent, disait-on, l'Eglise renseignante. Ils avalent conquis les médias: sous le nom d'experts, ils s'étalent acquis une audience et une influence inusitées, et un prestige dont ils n'avalent probablement plus joui depuis les temps de la Sorbonne médiévale. La liberté de parole et d'écriture qu'ils s'octroyaient était proportionnelle à ce prestige.

Cependant en une quinzaine d'années, les théologiens vont retrouver leur place subordonnée sous le triple effet d'une série de mesures individuelles, de nouvelles dispositions institutionnelles et de l'habitude que les organes de la Curie romaine reprennent de faire eux-mêmes de la théologie.

Signalons rapidement que dans l'ensemble de l'Église (et jusqu'au cœur des universités pontificales à Rome même tout récemment) des théologiens connus seront appelés à rendre compte de leurs positions, quand ils ne sont pas l'objet d'un procès formel. On ne veut évidemment pas faire abstraction du bien-fondé de telles interventions. Ici on ne peut que retenir le message qui s'en dégage vis-à-vis de l'opinion publique tant séculière qu'ecclésiale, qui aurait pu l'oublier: c'est celui de la valeur toute relative de la parole d'un théologien.

Simultanément se met en place un contrôle institutionnel beaucoup plus strict de l'enseignement de la théologie. La nouvelle Profession de foi exigée d'eux (février 1989) comme l'Instruction sur la vocation du théologien (mai 1990) les lie strictement au magistère puisque la première phrase de Ad tuendam Fidem n'hésite pas à déclarer qu'il "était absolument nécessaire" de protéger la foi "contre les erreurs de ceux qui se consacrent expressément aux disciplines de la sacrée théologie" et prévoit désormais qu'ils seront punis, le cas échéant, "d'une juste peine".

Enfin les organes de la Curie romaine se remettent eux-mêmes à faire de la théologie comme avant Vatican II. Un exemple récent: l'Instruction sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres (du 15 août 1997) affirme avec fermeté "la doctrine théologiquement certaine et la pratique séculaire de l'Église selon lesquelles l'unique ministre valide [de l'onction des malades] est le prêtre" (art.9, §2).Tout en confirmant ce point pour les derniers siècles, en réalité le dossier théologique laisse apparaître une beaucoup plus grande liberté dans ce domaine. Mais on la passe sous silence14.

Les bénéfices de cette triple évolution sont bien réels: elle assure plus d'homogénéité à l'enseignement de l'Église catholique, amène certains théologiens à plus de prudence, diminue le scandale des faibles. Surtout face à certaines tendances à s'adapter à la culture contemporaine, un tel retour à la fermeté doctrinale oblige à retrouver les exigences d'une véritable inculturation. Notre intention n'est pas ici d'en faire un bilan mais de constater qu'elle suscite dans les Églises locales la crainte d'être dessaisies de la responsabilité qui leur appartient en propre15.

1.2.2. Les ordres religleux doivent se concevoir en stricte dépendance du Saint-Siège

La centralité romaine s'est également réaffirmée vis-à-vis de la vie religieuse. Les interventions auprès de la Compagnie de Jésus, ordre le plus nombreux et lié au pape par un vœu spécial, ont été claires16. Citer nombre d'autres interventions aussi directes serait possible17. Retenons qu'il s'en dégage une dynamique de centralisation croissante dont témoigne particulièrement le can. 412, §1 du Code promulgué pour les Églises orientales catholiques en 1991, car il stipule que désormais en Orient également "tous les religieux sont soumis au pontife romain comme à leur supérieur suprême, auquel ils sont tenus d'obéir, y compris au titre de leur vœu d'obéissance". Un canon, encore plus surprenant de ce Code fait du "pontife romain l'administrateur et le dispensateur suprême de tous les biens de l'Église" (can. 1008, §I). C'est l'ecclésiologie qui s'y révèle qui vaut la peine d'être notée: il semble naturel que toute la vie religieuse dans l'Église doive être soumise au successeur de Plerre. On voit immédiatement qu'elle ne saurait avoir de réception œcuménique18.

1.2.3. La communion des évêques avec le pape est une communion hiérarchique.

Dans ses relations avec l'épiscopat, le Saint-Siège a également poursuivi une politique cohérente et globalement couronnée de succès, visant à ce qu'il n'y ait nulle prescription sur l'adjectif hiérarchique dans l'expression "communion hiérarchique" forgée par Vatican II19. Trois initiatives en ce sens peuvent être notées: la volonté de cantonner les conférences épiscopales dans un statut canonique de la plus grande modestie; une politique de nominations épiscopales favorisant les personnalités les plus favorables à l'exercice de toutes ses prérogatives par le Saint-Siège; une latinisation institutionnelle des Eglises orientales catholiques.

1.2.3.1. La révision à la baisse, du statut canonique des conférences épiscopales

Lumen Gentium 23, en sa finale, avait exprimé l'espoir de voir les conférences épiscopales jouer un rôle analogue à celui des patriarcats de l'Église ancienne pour assurer une légitime et heureuse pluriformité dans la communion. Ce vœu ne s'est jamais réalisé, parce que l'institution n'a jamais dépassé le statut canonique d'un modeste organe de coopération pratique entre les évêques d'une même nation.

Toutefois en 1988, un Instrumentum laboris, en provenance de la Congrégation des évêques reprenait un vœu exprimé au synode extraordinaire de 1985 pour que "soit étudié le statut des conférences épiscopales et en particulier leur autorité doctrinale" 20. L'Instrumentum véhiculait un message sans équivoque: les conférences n'avalent pas d'autorité doctrinale et elles ne sauraient non plus être une véritable expression de la collégialité, car il n'y aurait de droit divin dans l'Église que le pape, pour toute l'Église, et l'évêque, pour son seul diocèse, si l'on excepte le concile oecuménique. Ce projet ayant suscité de multiples résistances de la part des évêques, scientifiquement motivées21", il semblait avoir été abandonné, mais il a pris forme dans Apostolos suos dix ans plus tard. Ce motu proprio dans sa partie canonique, on l'a déjà signalé ne reconnaît plus de magistère authentique aux conférences, sauf si elles étalent unanimes. Il tente également, dans sa partie théologique, de corriger l'expression de Lumen Gentium (23) affirmant que c'est "dans et à partir des Églises particulières qu'existe l'Église catholique, une et unique", en répétant que l'Eglise universelle "est une réalité ontologiquement et chronologiquement préalable à toute Église particulière singulière" (n. 12), tout comme de la même manière "le collège épiscopal est une réalité antérieure à la charge d'être tête d'une Église particulière" (Ibidem).

L'intention de ce document, qui désarticule la corrélation entre évêques et Églises, est donc de faire des Églises locales des parties subordonnées d'un tout qui seul aurait la plénitude. La perspective d'une communion d'Églises locales, sujets de droit et d'initiative, au sein de la communion de l'Église entière, est recouverte par la perspective de la communion hiérarchique où l'adjectif devient concrètement (c'est-à-dire juridiquement22) aussi déterminant que le substantif, sinon plus. Or c'est à cela que la vaste majorité des Pères de Vatican Il voulait justement remédier.

1.2.3.2. Les nominations épiscopales

Si la corrélation entre l'évêque et son Église s'estompe et si la communion est conçue prioritairement comme hiérarchique, il est bien logique également qu'on n'accorde pas une considération particulière aux traces du droit d'élection des évêques par leur Église, qui subsiste dans une trentaine de diocèses des pays germaniques. Des échos des difficultés, chaque fois spécifiques, surgies dans ce contexte, ont passé les frontières de ces pays concernant notamment Cologne, Salzbourg et surtout Coire. On y a décelé des objectifs de politique ecclésiastique trop unilatéraux, tout comme une série de nominations malheureuses, aux conséquences parfois tragiques comme à Vienne et, dans une moindre mesure, à Sankt-Pölten. Cela a contribué à plonger l'Église d'Autriche dans une crise sans précédent, avec pour conséquence une multiplication en masse des sorties officielles de l'Église23 et la naissance du Kirchenvolksbegehren dont les tendances démocratisantes, plus d'une fois discutables, ont débordé en Suisse et en Allemagne24.

1.2.3.3. La latinisation de la législation des Églises locales orientales

La promulgation du Code des canons des Églises orientales (1990) 25 confirme également que le Saint-Siège se veut à nouveau un centre d'uniformisation administrative de l'Église entière. Bien qu'incompétent pour évaluer la pertinence pastorale de ce code, on peut au moins relever que ce code pour les Églises orientales est rédigé et promulgué en latin. Certes une langue est toujours traduisible: dispensatio, par ex., est une traduction correcte de koinonia; il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'institutions juridiques parfaitement hétérogènes. Comment, dans ce contexte, se défendre du reproche courant selon lequel reprise de communion avec Rome et latinisation vont de pair26? Comment justifier scientifiquement l'uniformisation artificielle de traditions juridiques aussi hétérogènes que la tradition byzantine et éthiopienne, ou arménienne et syro-malabare? Comment l'avoir fait promulguer par le pape seul au risque d'entretenir la confusion entre la primauté papale et l'instance patriarcale dans le ministère de l'évêque de Rome et de laisser croire que le pape se considère spontanément comme le patriarche des Églises orientales? Si, s'inspirant de la formule de promulgation des Actes de Vatican II "una cum patribus27», les chefs de ces Églises avalent édicté ce Code en même temps que le pape, le soupçon selon lequel il s'agit là d'un abaissement des Églises régionales dans l'Église catholique, aurait été en partie dissipé.

Moins qu'une histoire et qu'un bilan, le parcours précédent permet d'identifier des questions récurrentes dans une ecclésiologie de communion.

Ce qui précède est moins qu'une histoire très partielle, dont n'a tiré qu'un fil très mince: la manière dont au cours du pontificat de Jean-Paul II, en théorie comme en pratique, on paraît vouloir réinstaurer la centralité de l'Église romaine. Quiconque voudrait transformer ce constat en bilan, devra se poser des questions du genre de celles-ci: à une époque de mondialisation et de communications médiatiques instantanées (jets, satellites, Internet), il est possible que, vues de Rome, les autonomies locales paraissent assez archaïques ou, sinon excessives et nuisibles, du moins peu viables. Ceci amène non pas à négliger ces Églises locales mais à se centrer sur elles. Le pape actuel a énormément fait en ce sens, avec beaucoup de courage, ne serait-ce qu'en visitant toutes celles qu'il pouvait, afin de mieux exercer son ministère d'unité et de service de la foi. Est-il téméraire de penser que dans ce cadre il a voulu lutter contre la surestimation des différences culturelles, par ex. en Afrique et même en Asie? Contre la surestimation des problèmes sociaux ailleurs, par ex. en Amérique latine? Contre le danger de repli sur soi des Églises occidentales vieillissantes, vivant dans un contexte de bouleversement des mœurs et d'indifférence religieuse? Ne les a-t-il pas aidées à renouer avec leur jeunesse?

Le but de cette description, qualifiée trop ambitieusement d'historique, était de permettre au lecteur de repérer quelques tensions (on n'a cherché aucune exhaustivité!) nées des réorientations ecclésiologiques de Vatican II, concernant l'ajustement entre les Églises locales de l'Église entière. Ces multiples tensions ne sont pas réductibles à des manifestations de mauvaise volonté: elles ont d'importants paramètres théologiques que l'on se doit maintenant de clarifier en en éclairant les enjeux systématiques, pastoraux, oecuméniques et missionnaires.

II. Les questions theologiques sous-jacentes à la manifestation de la communion des Églises au sein de I'E'glise catholique

2.1. Absence d'une terminologie rigoureuse à Vatican II et dans le Code de 1983

Bien que Vatican II se soit montré particulièrement fructueux dans ses développements sur les Églises locales, on doit constater, non sans étonnement, que ce concile n'offre pas d'exposé systématique sur le sujet ni même un vocabulaire cohérent pour en débattre28. Le cardinal Felici, ancien secrétaire général du concile, a reconnu lui-même en 1971 ces difficultés terminologiques:

"Une question se pose quant à l'adoption d'un terme pour désigner les Églises particulières. Dans les documents de Vatican II, on trouve les expressions "ecclesia particularis", "ecclesia peculiaris", "ecclesia localis". Leur signification n'est pas suffisamment déterminée dans ces mêmes documents et elles ne sont pas utilisées dans le même sens" 29.

De fait sur huit emplois d'ecclesia localis, quatre désignent le diocèse, un cinquième le diocèse dans son contexte culturel, trois un regroupement de diocèses. Les emplois d'ecclesia particularis sont tout aussi hétérogènes: douze désignent un diocèse mais seize autres (plus nombreux donc) une Église dans sa particularité culturelle, dont dix des Églises catholiques d'un autre rite que le rite latin.

Pour sa part, Le Code rénové n'utilise jamais l'expression "Église locale" pour désigner l'Église diocésaine, mais i1 adopte le néologisme "Église particulière" pour désigner techniquement et exclusivement le diocèse et les institutions que le droit lui 'assimile (can.368). Il n'y a même pas là une fidélité matérielle à Vatican II. En effet désigner ainsi le diocèse risque d'induire, du moins dans les langues romanes (mais le même danger existe en allemand avec Teilkirche), une compréhension théologiquement inadéquate de l'articulation entre le diocèse et l'Église entière, de surcroît exclue par Vatican II puisqu'il l'a désigné comme portion de l'Église, refusant qu'il en soit une partie, n'ayant pas en elle-même l'essence du tout. Dès lors le choix de la racine pars pour le désigner n'est pas innocent surtout que dans les langues latines particulier est lexicographiquement l'antonyme d'universel. Ce dernier terme connote également une extension géographique - dont la portée théologique est modeste - et surtout l'uniformité et l'abstraction auxquelles on accède en se dépouillant de ses particularités, alors que l'unité de l'Église est d'emblée pluriforme. La même logique fera concevoir le diocèse, ainsi désigné, comme une partie subordonnée à un tout qui seul aurait la plénitude, et l'on court ainsi le risque de renforcer tant d'images de l'Église catholique évoquant une multinationale aux multiples succursales. En réalité le diocèse est une portion du Peuple de Dieu, doté sur le plan théologal de tous les biens du tout: l'Evangile, le Saint-Esprit, l'eucharistie et l'épiscopat (cf. Christus Dominus 11), si bien que c'est "en elles et à partir d'elles (sc. les Églises diocésaines) qu'existe l'Église catholique une et unique" (Lumen Gentium 23). Voilà pourquoi avec nombre de théologiens, il nous paraît nécessaire de conserver en théologie le vocabulaire traditionnel de l'Église diocésaine ou même locale plutôt que d'adopter l'option discutable du Code30. Elle risque d'affaiblir la perception de la catholicité ontologique de l'Église diocésaine et de renforcer l'image inadéquate d'une "Église universelle antérieure ou supposée existante en elle-même, en dehors de toutes les Églises locales, qui ne saurait être qu'un être de raison" 31.

En revanche, le concept d'Église particulière conviendrait bien mieux aux différentes réalisations régionales de l'Église qui traduisent sa pluriformité culturelle (ainsi l'Église latine, grecque ou arménienne) ou aux regroupements canoniques de diocèses sous forme de provinces ecclésiastiques, de patriarcats, de catholicossats (patriarcats extérieurs à l'Empire), ou même aux Églises nationales qui prirent corps dans la chrétienté indivise (ainsi l'ecclesia gallicana ou anglicana). Parce que nécessairement limitées et appelées, dans la ligne de la Pentecôte, à refaire sans cesse ce que Babel ne cesse de défaire, toutes ces traductions de l'Evangile dans l'histoire et les cultures du passé, ou de l'avenir, ont sans cesse à se mesurer à la catholicité, peuvent être appelées particulières, sans équivoque et judicleusement32.

Conformément à ces éclaircissements, nous resterons fidèles à cette terminologie dans la suite de cette réflexion. 33

2.2. Les acquis de Vatican II: apports considérables et limites conceptuelles

2.2.1. Les requêtes des Pères

Une expression, techniquement peu théologique mais fort répandue à l'époque, permet de résumer ce que les Pères de Vatican II considérèrent comme le grand dessein de ce concile: la décentralisation collégiale. Seul le débat sur la Vierge Marle obtint un plus grand nombre de prises de parole. Trois raisons expliquent I'importance de cette question:

- différentes requêtes pastorales s'expriment ainsi, dont I'urgence était vivement ressentie: les évêques en provenance des jeunes Églises, désormais nombreux, souhaitaient une plus grande liberté d'adaptation missionnaire au sein de cultures non-européennes. Mais déjà au sein des Églises de culture européenne, les évêques souhaitaient la même chose, en particulier pour la rénovation de la liturgie et sa célébration dans la langue du peuple. Les mêmes souhaitaient échapper à une centralisation devenue étouffante34 et instaurer une manière plus collégiale de gouverner l'Église, ou, exprimé de façon plus théologique, une revalorisation théorique et pratique des Églises locales et régionales, en particulier par la collaboration des évêques d'une même nation au sein de conférences épiscopales que l'on suggérait de rendre obligatoires par-tout.

- les objectifs œcuméniques, expressément voulus par Jean XXIII, convergeaient avec ces objectifs pastoraux; en effet, sans avancée sur ce chapitre, c'est-à-dire sans une meilleure expression de la communio ecclesiarum au sein de l'Église catholique, aucun rapprochement significatif ne pouvait être espéré en direction des Églises orthodoxe, anglicane, luthérienne...

- dans l'esprit des Pères conciliaires, cette convergence entre les objectifs pastoraux et œcuméniques se traduisit en une tâche doctrinale unique: Vatican I, interrompu par la guerre franco-prussienne, n'avait eu le temps que de traiter de la seule primauté; il fallait mener l'œuvre à son terme et traiter maintenant de la collégialité des évêques afin d'instaurer entre le pape et les évêques un équilibre aussi bénéfique pastoralement qu'œcuméniquement, en corrigeant ainsi les unilatéralismes issus d'un concile inachevé.

C'est ainsi que, de fait, l'effort théologique porta de façon privilégiée, et presque exclusive, sur l'élaboration du concept de collège des évêques dans son rapport à la primauté papale définie à Vatican I (2.2.2.1); toutefois quelques jalons furent posés pour la revalorisation des Églises régionales (2.2.2.2).

2.2.2. La doctrine de la collégialité de Vatican II, par son importance et ses limites, éclaire les ambivalences qui persistent dans l'ecclésiologle catholique35

Le débat sur la collégialité, - terme ignoré de Vatican II -, s'est conclu dans la rédaction des paragraphes 19-27 de Lumen Gentium. Par collège on y entend le corps (collegium, corpus, ordo) constitué par tous les évêques, y compris celui de Rome, du fait de leur ordination identique et de leur communion hiérarchique avec le pape et entre eux. Lumen Gentium 22 le définit dans les termes suivants:

C'est en vertu de la consécration sacramentelle et par la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres que quelqu'un est fait membre du corps épiscopal […]. L'ordre des évêques qui succède au corps apostolique dans le magistère et le gouvernement pastoral constitue en union avec le pontife romain, son chef, et jamais sans ce chef, le sujet d'un pouvoir suprême et plénier sur toute l'Église, pouvoir qui cependant ne peut s'exercer qu'avec le consentement du pontife romain.

Considérée à l'époque comme l'épine dorsale de Vatican II, cette doctrine laisse voir aujourd'hui son importance et ses limites.

2.2.2.1. Importance de cette doctrine

La primauté papale ayant été définie à Vatican I comme "un pouvoir plénler et souverain de juridiction sur toute l'Église […] sur toutes et chacune des Églises comme sur tous et chacun des pasteurs et des fidèles", l'horizon de la discussion de collégialité fut d'emblée celui de l'Église universelle et devait dominer toute la perspective. Dans ce contexte, l'origine du pouvoir des évêques est une question-clé. Selon qu'il émane directement du Christ ou du Christ à travers la plénitude de pouvoir du pape, la position de l'épiscopat dans l'ensemble de la structure ecclésiale se présentait de manière bien différente. On commença donc par l'affirmation de la sacramentalité de l'ordination épiscopale, qui avait très peu d'objectants parmi les évêques, et l'on affirma ensuite que "la consécration épiscopale, en même temps que la charge de sanctifier, confère aussi les charges d'enseigner et de gouverner" (LG 21). Puis par recours à la tradition, on établit que "un homme est constitué membre du corps épiscopal en vertu de cette même consécration sacramentelle et par la communion hiérarchique" (LG 22) 36. On sort ainsi d'une impasse que l'on pouvait craindre sans issue, car on affirme désormais que le collège des évêques détient tout le pouvoir ecclésiastique, de droit divin et solidairement. En elle-même, et au plan conceptuel, cette affirmation représentait un acquis considérable par rapport à Vatican I.

Avant d'en analyser les limites qui expliquent pourquoi les difficultés renaissent aujourd'hui, il faut en analyser sommairement l'importance:

- différemment de Pie XII et de Jean XXIII, Vatican II enseigne ainsi que les évêques reçoivent leur charge de gouverner directement du Christ (LG 26). La scission entre ordre et juridiction est ainsi dépassée en principe et il faut donc voir dans les évêques "des vicaires et des légats de Jésus-Christ […] et non des vicaires du pontife romain" (LG 27), formulation que le Code de 1983 ne reprendra pas.

- une nouveauté en résulte au plan des principes canoniques: le pape ne concède plus leurs pouvoirs aux évêques, mais il se réserve, au titre de sa primauté et pour le bien commun, certaines prérogatives que les évêques pourraient, de droit, exercer.

- enfin des institutions comme les conférences épiscopales "qui contribuent de façons multiples et fécondes à ce que le sentiment collégial se réalise concrètement" (LG 23) vont permettre une expression plus vivante de la communion des Églises entre elles au sein de l'Église catholique.

2.2.2.2. Limites du concept de collégialité adopté à Vatican II et de ses usages

L'affirmation selon laquelle le collège détient tous les pouvoirs n'a pas permis de réaliser les espoirs que bien des Pères avalent mis en elle. Il y a à cela quatre raisons théologiques essentielles:

1. Lumen Gentium a accepté une scission entre le collège des évêques et la communion des Églises. Certes l'ordination est retenue comme fondement de l'entrée dans le collège mais LG 22 (cité supra) n'en retient que la préposition à l'Église universelle. Cette option est reprise dans l'enchaînement des raisons du Code de 1983 qui croit possible d'établir ce que sont des clercs et des laïcs, le pape, le collège des évêques, les cardinaux, la Curie romaine, les nonces, préalablement à toute considération de l'Église locale. Ceci montre bien que Vatican II a été incapable de renouer avec la grande tradition ecclésiologique de la communio ecclesiarum. Ce n'est pas sans conséquences pastorales37. Retrouver la corrélation entre le communio ecclesiarum et le collegium episcoporum reste une tâche actuelle et importante.

2. Lumen Gentium a avalisé un concept de collège où celui-ci est toujours dépendant de son chef, sans que celui-ci ait l'obligation canonique d'agir en collaboration avec lui. Quand le collège est compris à partir de sa tête qui a le même pouvoir que ses membres, quand il ne peut jamais agir sans sa tête (en vertu de la communion hiérarchique), - alors qu'en vertu de sa charge le pape a "un pouvoir plénier, suprême et universel qu'il peut toujours exercer librement" (LG 22) -, dans ce cas la collégialité ne change pas nécessairement la figure centralisée de l'Église d'après Vatican I, que la majorité des Pères avait voulu justement atténuer grâce à cette doctrine. De plus quand n'est formellement collégiale qu'une action de tout le collège en corps, qui ne se vérifie en pratique que dans le concile œcuménique38, on peut se demander si la doctrine n'est pas parfaitement inopérante. A moins que dans le soin quotidien qu'il prend de son diocèse, l'évêque n'exerce la collégialité? Dans ce cas, inutile de se leurrer, les grands efforts de Vatican II auraient été une victoire à la Pyrrhus...

Est-ce que ceci ne repose pas sur les malentendus que véhiculent la formule du double sujet inadéquatement distinct du pouvoir dans l'Église? On y reviendra en conclusion.

3. Une troisième limite du concept de collégialité provient de son incapacité à faire sa place à l'expression structurelle des Églises régionales, qu'on devrait appeler à juste titre particulière. L'expression de la catholicité s'en trouve réduite.

L'appréhension de la collégialité selon le binôme pape-évêques est très réductrice, surtout lorsqu'on souligne qu'à cela se résume le droit divin. Quiconque est familier de la tâche missionnaire ou du dialogue œcuménique le perçoit immédiatement. Ce n'est jamais au registre d'un diocèse singulier, en effet, que peuvent se traiter les questions fondamentales liées à l'inculturation ou au dialogue œcuménique. Les unités culturelles et spirituelles s'expriment dans des aires qui dépassent de beaucoup le territoire diocésain et celle d'une conférence épiscopale nationale39. Pour être catholique l'Église ne peut pas ne pas être particulière, c'est-à-dire assumer, en les corrigeant les valeurs culturelles et historiques des peuples qui la composent. Ad Gentes s'en est montré particulièrement conscient en rappelant qu'à l'image du Christ lui-même, l'Église ne saurait être étrangère en aucun lieu ni à l'égard de quiconque (AG 8). Elle doit "apprendre à parler, comprendre et embrasser dans sa charité toutes les langues et triompher ainsi de la dispersion de Babel" (AG 4). Évitant aussi bien le syncrétisme que l'ethnocentrisme, "la vie chrétienne sera ajustée au génie et au caractère propre de chaque culture; ainsi les traditions particulières avec leurs qualités propres, éclairées par la lumière de l'Evangile, de chaque famille des nations, seront assumées dans l'unité catholique. Ainsi les nouvelles Églises particulières auront leur place dans la communion ecclésiale" (AG 22).

Ceci suppose, comme Lumen Gentium le souhaite, que ces Églises régionales particulières puissent avoir une consistance qui leur permette de s'exprimer comme sujets de droit et d'initiative dans la communion:

En vertu de cette catholicité, chaque région (pars40) apporte aux autres et à toute l'Église le bénéfice de ses propres dons, en sorte que l'ensemble et chaque région grandisse par leurs échanges mutuels et par l'effort commun vers la plénitude dans l'unité.

Lumen Gentium 23 (in fine) voyait dans les conférences épiscopales une institution susceptible d'être le support d'une telle vie de communion et d'échanges dans la pluriformité, à l'instar de ce que furent les patriarcats de l'Église ancienne. Il est clair que, dans l'après-concile, leur développement n'a pas pris une telle direction: elles sont devenues selon Apostolos Suos n. 6 "l'organe préféré des évêques pour des échanges de vues, des consultations réciproques et des collaborations en vue du bien commun" avec un statut théologique et canonique des plus modestes dès l'origine, revu à la baisse récemment. Il est très possible que cette institution se soit révélée inadéquate pour le but qui avait été entrevu pour elle. Mais comme rien d'autre n'a été prévu pour répondre aux requêtes qu'elle représentait (les conciles particuliers ne peuvent dépasser le territoire d'une nation et les synodes continentaux auprès du pape sont techniquement un organe de conseil du pape, n'ayant aucune maîtrise de leurs délibérations, les évêques participants ne pouvant même pas rendre publiques leurs prises de parole), on ne doit pas être trop surpris que des craintes s'expriment dans l'Église au sujet de la juste réception de Vatican II, l'impression étant ainsi créée que l'on revient, en toute simplicité, sans contredire la lettre des textes, au processus séculaire de centralisation administrative, dont on attend la solution aux problèmes.

Cette inexistence des Églises régionales particulières dans l'Église catholique n'est pas seulement ressentie par ceux qui portent le souci de l'évangélisation et de l’inculturation qu'elle implique. Elle l'est aussi par tous ceux qui se soucient du rétablissement de l'unité des chrétiens, autre grande option de Vatican II. En effet, selon la formule forgée au début de ce siècle dans le cadre du dialogue entre catholiques et anglicans, si nous retrouvons l'unité dans la foi, nous serons "united but not absorbed". Pour arriver à ce résultat il ne suffira pas de rétablir une stricte corrélation entre la présidence à une Eglise locale et l'appartenance au collège; il faudra encore donner un statut vraiment ecclésiologique aux Églises particulières ou régionales, à la manière, mutatis mutandis, de celui qui régissait les relations entre les Églises latine et byzantine, quand elles vivaient en communion41.

Bref, qu'on se mette au point de vue de la théologie systématique, pastorale ou œcuménique, l'abandon du chantier de la théologie des Églises régionales ou particulières crie misère.

4. Une dernière limite conceptuelle de la problématique de la collégialité doit être signalée: elle peut laisser croire que les ministres peuvent concentrer sur eux toute la réalité de l'Église.

Les deux premiers chapitres de Lumen Gentium, en développant une perception trinitaire de l'Église (à la fois Peuple de Dieu, Corps du Christ, temple du Saint Esprit), et en développant une théologie du peuple de Dieu (ch. 2), préalable à ses ministères (ch. 3), avaient posé les bases d'un nouvel équilibre de la théologie systématique, gros de redressements pastoraux et de pertinence œcuménique, car ainsi il devenait possible de réarticuler dans l'Église les relations entre "un", "tous" et "quelques-uns", articulation dont le BEM devait rappeler l'importance cardinale au plan œcuménique42. L'Instruction sur les synodes diocésains de 1997, déjà mentionnée, ne va pas dans ce sens. Cette option pastorale a évidemment de lourdes conséquences œcuméniques tant est bien connue l'invincible allergie de la Réforme à réduire l'Église à ses ministres: au pape, aux évêques et au clergé.

À titre d'exemple, dans son Apologie de la Confession d'Augsbourg (1531), Mélanchthon récuse deux déviations catholiques:

1. le pouvoir de la hiérarchie ne peut être anypeuthynon, c'est-à-dire un pouvoir tel qu'il ne serait pas responsable vis-à-vis des autres chrétiens, et qu'en conséquence personne parmi eux n'aurait le droit de discuter ou de juger des actes et décisions de l'autorité.

2. on pourrait transférer à la seule hiérarchie ce que Jésus, dans les Evangiles, a dit de toute l'Église: "non est transferendum ad pontifices quod dicitur de ecclesia", et cette impossibilité s'étend, dans l'exemple qu'il prend, également à l'enseignement, "quod non potest errare" 43.

Bien sûr comme question technique, la doctrine de la collégialité n'avait pas à intégrer ces perspectives tout à fait directement puisqu'il s'agissait de régler les rapports entre le pape et les évêques. Mais faute de l'avoir fait, dans ce cadre ou dans un autre, elle vise trop court.

* * *

Au terme de cet examen volontairement critique (trop critique? Le lecteur est libre d'en juger), nous espérons avoir apporté quelques lumières sur les raisons des partenaires en présence et surtout avoir montré qu'il serait injuste d'instruire le procès du Saint-Siège pour avoir interprété unilatéralement le dernier concile. Dans le domaine qui nous a retenu, Vatican II a été un concile de compromis, si bien qu'il est difficile d'établir que les interprétations divergentes données sont infidèles. En particulier, ceci supposerait qu'on puisse en appeler à l'esprit d'un concile contre sa lettre. C'est possible, mais il faut au moins concéder qu'il est difficile d'en avoir une herméneutique commune dans ces conditions. Plutôt que de tenter de répondre cette question, on suggérera en conclusion comment la réflexion théologique pourrait contribuer à renforcer la catholicité de notre Église.

III. La vitalité des Eglises régionales comme contribution à la catholicité de l'Église

Être catholique, c'est exister selon le tout, selon l'étymologie même du mot. Dans le cas présent, cette règle simple doit amener Le théologien à souligner que la catholicité est l'affaire de tous dans l'Église, et de toute l'Église, sans qu'une personne, qu'un groupe, une institution ou une région, ne se prenne pour le tout, attitude qui témoigne d'une véritable spiritualité. Elle a pour fondement le fait que l'ensemble des dons du Saint Esprit ne se trouve que dans l'ensemble de l'Église. Certes, le Saint Esprit n'introduit pas l'égalitarisme dans l'Église, mais il fait de tous les chrétiens et de toutes leurs communautés les collaborateurs les uns des autres.

3.1. Vitalité des Églises régionales et cohérences théologiques

Le thème de l'articulation entre les Églises locales, régionales, et l'Église entière révèle d'importantes cohérences théologiques: il y a un lien étroit entre ce qui se révèle juste en théologie systématique, fructueux en pastorale, pertinent pour les attitudes missionnaires et constructif au plan œcuménique. Il faudrait encore ajouter que cette perception englobe aussi la compréhension de l'histoire de l'Église. Par exemple, dès qu'on a compris comment un théologien articule communion des Eglises et communion des évêques, on peut pronostiquer, sans grande crainte de se tromper, la manière dont il va comprendre la primauté, la collégialité, la vocation des conférences épiscopales, la conciliarité, l'exercice de l'autorité; on peut également prévoir ses attitudes pastorales et œcuméniques.

On peut même aller plus loin: on peut également deviner sa conception du droit canonique et de ses fondements théologiques; une conception plutôt sociétaire ou plutôt sacramentelle selon le cas44, et évidemment aussi sa plus ou moins grande propension à traiter de façon communionelle les questions de communion45. Dans le débat actuel, comme dans tout débat d'ailleurs, la théologie peut rendre ce modeste service d'exiger de tous de démontrer une cohérence d'ensemble dans leurs positions; ce qui peut déjà représenter une modeste parabole de l'exigence de catholicité: "penser qualitativement selon le tout".

3.2. La catholicité est l'affaire de tous et de toutes les Églises

Le lecteur aura peut-être été déçu par la rapide analyse qui introduisait le présent essai qu'on pouvait interpréter comme un intérêt démesuré pour comprendre l'Église à l'aune de la politique ecclésiastique. Certes le mystère de l'Église dépasse de loin la politique ecclésiastique, mais le témoignage de la sainte Église ne passe-t-il pas aussi par une "bonne politique ecclésiastique" où tous le pape, les évêques, les Églises locales ou les Églises régionales, les religieux, les théologiens, au lieu de se préoccuper de leur indépendance ou subordination, pourraient entrer en émulation les uns avec les autres pour collaborer46 tous ensemble au service de la catholicité de l'Église? D'ailleurs plus les Églises régionales prendront le statut de sujet47 qui doit être le leur dans la communion de l'Église entière et plus aussi elles auront besoin les unes des autres ainsi que de la primauté pour empêcher les différences culturelles, d'éthos, de poids économique, de prestige spirituel et théologique, de se transformer en forces de division. De développer très efficacement, par conséquent, la vie conciliaire de l'Église. Susciter des communications, arbitrer ces différences, exercer des solidarités dans un monde qui est violent, injuste, ethnocentrique exige plus que jamais de devenir catholique, de conjuguer l'unité dans la différence sans gommer les conflits.

3.3. Techniquement il faut encore travailler à une juste réception de Vatican I

Il est probable que Vatican II qui s'était donné pour tâche de compléter l'œuvre interrompue de Vatican I, n'y a pas tout à fait réussi, car ce concile continue d'être reçu comme s'il obligeait à tenir que le pape a personnellement le même pouvoir que le collège (dont il est membre). Cette réception risque de vider la communio ecclesiarum de son contenu car cette interprétation de Vatican I ne favorise pas une réelle catholicité dans la mesure où elle laisse croire que "un seul" est autant que "tous" 48.

Or, techniquement la définition de la primauté de juridiction n'implique pas que l'on adhère à la thèse des deux sujets de pouvoir, inadéquatement distincts, sur I'Église universelle. Vatican I a clairement rendu compte de ses intentions. La définition de la primauté de juridiction n'a pas pour but de reconnaître au pape cette plénitude de pouvoir qui serait requise pour le gouvernement quotidien de l'Église. Toute autre est la finalité assignée à cette juridiction: le pape a un pouvoir de juridiction plénier et universel 1. pour sauvegarder I'unité de l'épiscopat (Prologue), 2. pour affirmer, affermir et défendre le pouvoir des évêques (DH 3061), 3. sa définition doit être comprise à la lumière "de l'antique et constante foi de l'Église universelle" (DH 3052), exprimée "dans les Actes des conciles œcuméniques et des saints canons" (DH 3059), vécue "dans l'usage perpétuel des Églises", traduite dans les conciles œcuméniques "surtout ceux où l'Orient se rencontrait avec l'Occident dans l'union de la foi et de la charité" (DS 3065).

Il est donc impossible d'identifier, mais on ne le fait guère remarquer, le pouvoir du collège avec celui du pape. On ne voit pas, en effet, comment le collège pourrait détenir le pouvoir primatial qui, dans sa source, repose sur une promesse spéciale du Christ à Pierre, promesse qui n'a pas été faite au collège et qui, dans sa finalité, est spécifiée par l'unité de l'épiscopat selon Vatican I. Et symétriquement, on ne voit pas comment le primat pourrait se voir attribuer ce qui revient à l'ensemble des évêques: ainsi y a-t-il plus de poids dans te consensus de l'ensemble des Églises dans un concile œcuménique que dans le pape seul. Le cas limite de la déposition légitime des trois papes alors concurrents au concile de Constance ne peut s'expliquer autrement, semble-t-il.

La coïncidence des adjectifs qui qualifient le pouvoir du pape et le pouvoir du collège épiscopal ("plénier, suprême, universel, ordinaire, immédiat et épiscopal") est donc une coïncidence matérielle qui n'oblige pas à penser qu'il s'agit du même et unique pouvoir suprême. Il y a place pour deux pouvoirs de ce type, pourvu qu'ils ne coïncident pas dans leur fin et leur objet formel.

La juridiction papale pour être effective est bien sûr ordinaire (i.e. non déléguée, mais annexée à la charge), immédiate (elle n'a pas besoin d'intermédiaire), épiscopale (de même nature que celle d'un évêque).

Ce n'est donc pas dans la ligne d'une autolimitation de son pouvoir par le pape, ni de sa délégation à des instances intermédiaires que l'on rassurera les Orthodoxes par exemple. En revanche, dans la perspective que nous avons mise en valeur, on peut et doit refuser aussi l'extension à toute I'Église du régime patriarcal de l'Église latine49.

En guise de conclusion

Un certain nombre de documents récents avaient probablement l'intention de clore les débats au sujet de l'articulation entre les Églises locales, régionales et l'Église entière. Il se peut qu'involontairement (le genre canonico-administratif adopté y a sans doute contribué) ils aient eu pour résultat de faire remonter à la surface des insatisfactions refoulées jusqu'alors50. Pour l'historien et le théologien cela n'a rien d'étonnant: la réception d'un concile se fait sur la longue durée. L'événement conciliaire conserve sa dynamique au double sens où la conciliarité fondamentale de l'Église en a été réveillée51 et où ce concile n'a pas encore porté tous ses fruits52. C'est évidemment un processus situé entre le péché et la grâce. C'est donc un appel à la conversion53. Tel est, avec la rigueur du travail théologique, le prix à payer pour que "la variété des Églises locales montre avec plus d'éclat, par leur convergence vers l'unité, la catholicité de l'Église indivise" (LG 23). Aujourd'hui, comme lors de Vatican II, un tel enjeu apparaît solidaire d'une série d'autres: sans reconnaissance de la légitimité d'Églises régionales au sein de la catholicité et sans possibilité pour elles de s'y exprimer, il ne saurait y avoir d'avancée œcuménique. Mais telles sont également les conditions d'une pastorale créatrice dans les Églises anciennes qui connaissent des changements culturels considérables, comme d'une réelle inculturation dans les jeunes Églises. Pour toutes ces raisons, en s'appuyant encore sur d'autres qui lui sont propres en tant que théologien systématique, l'ecclésiologue en conclura que, pour le moment, le point d'équilibre n'a pas encore été trouvé dans la réception de Vatican II sur l'articulation entre les Élises locales, les Églises régionales et l'Église entière au sein de l'ecclésiologie catholique.


l. AAS 90 (1998) 641-658, n.IV. art2: «Pour que les déclarations doctrinales de la conférence puissent constituer un magistère authentique et être publiées, il est nécessaire qu’elles soient approuvés à l'unanimité des membres évêques ou bien que, approuvées en réunion plénière au moins par les deux tiers des prélats ayant voix délibérative, elles obtiennent la reconnaissance (recognitio) du Saint-Siège". [Les autres références au même document renverront seulement au numéro cité.]

2. can.753: "Les évêques qui sont en communion avec le chef du collège et ses membres, séparément ou réunis en conférences épiscopales ou en conciles pléniers, sont les authentiques docteurs et maîtres de la foi des fidèles confiés à leurs soins; à ce magistère authentique de leurs évêques, les fidèles sont tenus d'adhérer avec une révérence religieuse de l'esprit".

3. Sur la recognitio, cf. W. Aymans, "Ab apostolica sede recognitum", Archiv für katholisches Kirchenrecht 139 (1970), p. 405-427 et J. Manzanarez, "Sulla ‘reservatio papalis’ e la  ‘recognitio’". Considerazioni e proposte, in H. LEGRAND et alii (Atti del Colloquio di Salamanca, p. 2-7 aprile 1991), Chiese locali e cattolicità, Bologna, Ed. Dehoniane, 1994, p. 253-277.

4. Une telle règle de l'uninamité est une innovation dans le droit. Jusqu'à maintenant elle n'était requise que dans le cadre de la procédure électorale, que l'on appelle "vote par compromission", cf. can. 174, § 1. Jean-Paul II a aboli cette procédure restée en usage pour l'élection papale dans sa Constitution Universi Domini gregis n.62, AAS 88 (1996) p. 331.

5. Pour Apostolos suos n.22, la recognitio vise à assurer que la réponse doctrinale "ne porte pas préjudice à des interventions du magistère universel, mais plutôt qu'elle les prépare".

6. Instructio de Synodis diocesanis agendis, AAS 89 (1997), p. 706-727.

7. AAS 90 (1998) 457-461 (en date du 18 mai). La violence de sa première phrase ("Pour défendre la foi de l'Église catholique contre les erreurs qui surgissent de la part de certains fidèles, surtout de ceux qui se consacrent expressément aux disciplines de la sacrée théologie") en dit long sur la déception éprouvée à Rome devant le peu d'appui apporté par les théologiens aux soucis pastoraux du Saint-Siège.

8. AAS 90 (1998) 543-551 (en date du 29 juin); il est intitulé Note doctrinale.

9. Tel est l'objet des nn.6 et 7 de la Note doctrinale. Ces vérités sont cependant dites à tenir (tenenda) et non pas à croire (credenda). Malgré tout il est troublant de lire au n.11 "Eu égard aux vérités liées à la Révélation par nécessité historique, qu'on doit tenir pour définitives [...] on peut indiquer comme exemple(s) [...] la canonisation des saints". Il y a en effet des cas d'erreurs en ce domaine, cf. ROGER AUBERT, JEAN DE POMUK, Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastique, t.27, Paris 1998, col.459-462. Le savant lovaniste y rappelle comment ce chanoine de Prague fut canonisé par erreur en 1729, et que la Congrégation des Rites avait déjà en 1960 supprimé sa fête au calendrier de l'Église universelle, devant l'évidence historique. Il s'appuie notamment sur les travaux de Dom Paul de Vooght qu'E. Piacentini, "L'infallibilità papale nella canonizzazione dei santi", Monitor Ecclesiasticus 117 (1992) p. 100-101 présente sans aucun fondement comme rétractés par le savant bénédictin. La canonisation équipollente au xvII e siècle, par Innocent XII, de Félix de Valois, prétendu fondateur des Trinitaires, soulève les mêmes problèmes: on s'y fonde sur une première canonisation au xIIIe siècle dont non seulement les archives de la Curie n'ont pas gardé la moindre trace, mais pas même la liturgie des Trinitaires! Il est probable que sur cette possible infaillibilité des papes dans les canonisations, il serait juste de se rallier à la position de S. Thomas d'Aquin pour qui il s'agit là d'un pie creditur, cf Max SCHENK, Die Unfehlbarkeit des Papstes in der Heiligsprechung. Ein Beitrag zur Erhellung der theologiegeschichtlichen Seite der Frage, (Tomistische Studicn 9), Fribourg (Suisse), 1965, p. 160-194 [où l'on ne se contentera pas de la lecture de la dernière phrase du livre].

10. S'agissant du statut du texte, selon la doctrine la plus classique, l'acte d'une Congrégation n'est pas un acte du pape lui-même. De plus comme Avery DULLES, sj, "How to read the Pope", The Tablet (25 July 1998) 967 le fait remarquer: "il n'y a aucune preuve que la Note ait été approuvée par l'ensemble de la Congrégation ou en plénière ou par le pape". S'agissant de la conceptualité mise en oeuvre, qui n'innove pas par rapport à celle utilisée pour établir le caractère "définitif" de la non-ordination des femmes, on hm avec profit l'étude aussi prudente qu'informée et technique de J.P.TORRELL, "Note sur I'herméneutique des documents du magistère à propos de l'autorité d'Ordinatio Sacerdotalis", Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie 44 (1997), p. 176-194.

11. AAS 87 (1995), 921-982.

12. Allocution de Paul VI au Secrétariat pour I'Unité des chrétiens, juin 1967, AAS 59 (1967), 428.

13. Lettre apostolique Octogesimo Adveniens, n.4. AAS 63 (1971), 403.

14. AAS 89 (1997), 852-877. On peut se référer par ex. à A- CHVASSE, Étude sur l'onction des infirmes dans 1'Église latinè du III e siècle à la Réforme carolingienne, t. I Lyon, 1942.

15. La conférence d'Oxford de l'archevêque John Quinn (San Francisco), "Réflexion sur la papauté", DC 93 (1996), 930-943 en est un exemple pour l'Amérique du Nord. Diagnostic analogue, à partir d'autres problèmes, en particulier chez les évêques japonais et indonésiens, lors du synode pour l'Asie, cf. N. K LEIN, "Was der Geist den Gemeinden in Asien sagt".... Orientierung 62 (1998), p. 131. Ils s'étonnent, par ex., de devoir soumettre leurs traductions liturgiques dans des langues que personne ne connaît à la Curie, pour qu'elles y soient approuvées.

16. Cf. Homélie de Jean-Paul II à leur Congrégation générale: "Le quatrième vœu a une signification particulière [...] celui de pouvoir répondre immédiatement sans tergiverser et sans s'excuser d'aucune manière, aux besoins de l'Église" Documentation Catholique (par la suite DC) 80 (1983), p. 868.

17. Comme elles ont lieu en conformité avec le droit canonique, cela n'est pas très significatif, même s'agissant de la création de deux observances chez les carmélites, DC 82 (1991), 1976.

18. Certes te droit byzantin connaît les monastères stavropégiaques, mais il y serait anormal de rattacher tous les monastères au patriarche.

19. Cf. O. SAIER, ‘Communio’ in der Lehre des zweiten Vatikanischen Konzils, München 1973. Voir notre compte-rendu, Rome des Sciences philosophiques et théologiques 59 (1975), p. 708-710.

20. Rapport final C 8. Le texte de l'Instrumentum laboris n'a pas été officiellement publié. On en trouve l'esprit dans G. MUCCI, "Conferenze episcopali e corresponsabilità dei vescovi", Civiltà Cattolica, 1985, II, 417-429 et ID., "Le conferenze episcopali e l'autorità de magistero", Ibid. 1987, I, p. 327-337. Publié dix ans plus tard, Apostolos suos n'a pas été influencé par les travaux théologiques parus entre temps: il reconduit les propositions de l'Instrumentum.

21. On verra en particulier les travaux du premier colloque de Salamanque que nous avons édités, cf. H. LEGRAND, J. MANZANARES, A. GARCÍA Y GARCÍA" Les conférences épiscopales. Théologie, statut canonique, avenir. Paris, Ed. du Cerf, 1988.

22. Il serait irréaliste, en effet, d'oublier qu'entre l'ecclésiologie théoriquement professée (dans l'espace théologique et spirituel) et celle qui est concrètement vécue la médiation est toujours, bien évidemment institutionnelle.

23. Lors de la première crise, entre janvier et mai 1989, ces sorties avaient augmenté de 80% dans certains diocèses; cf. Was ist in Österreichs Kirche los? Eine "Machtergreifung" mit fatalen Folge, Herder-Korrespondenz 43 (1989), p. 456-462 (avec des statistiques des sorties de l'Église).

24. Cf. "Wir sind Kirche». Das Kirchenvolks-Begehren in der Diskussion. Herder, Freiburg-Basel-Wien, 1995 (Bonne information et discussion). Le manifeste a obtenu plus de 500.000 signatures dans ce petit pays.

25. AAS 82 (1990), 1061-1363.

26. Certains ne manqueront pas d'en voir une nouvelle illustration dans le décret, pris le 4 mars 1998, par le Cardinal secrétaire d'État, expulsant du territoire de la Pologne, vers l'Ukraine, apparemment leur pays d'origine, tous les prêtres gréco-catholiques mariés, et prévoyant qu'en cas de pénurie de prêtres de ce rite, on recoure à des 1atins bi-rituels. En effet Vatican Il (Orientalium Ecclesiarum 5) avait déclaré "solennellement que les Églises d'Orient, tout comme celles d'Occident, ont le droit et le devoir de se gouverner selon leurs propres disciplines particulières" et de plus il avait fait l'éloge "des prêtres mariés dont le mérite est grand" et exhorté «avec toute son affection les hommes mariés qui ont été ordonnés prêtres à persévérer dans leur sainte vocation et le don total et généreux de leur vie au troupeau qui leur a été confié" (Presbyterorum ordinis 16). L'argument, qui pourrait être juridiquement valide malgré le dernier concile, serait qu'ils sont sur le territoire du patriarcat latin, mais dans une Pologne dont les frontières historiques sont si fluides, l'argument est-il convaincant? Il reste aussi à considérer que, devant l'Église orthodoxe, on fait perdre ainsi la face à cette Église unie sortie si récemment de la clandestinité...

27. Cf. G. Alberigo, Una cum patribus. La formule conclusive des décisions de Vatican II, in Ecclesia a Spiritu Sancto edocta. Mélanges Philips, Gembloux, 1970, p.291-319.

28. La remarque en a été faite par J.A. Komonchak, "La réalisation de l'Église en un lieu", in G. Alberigo-J.P. Jossua, La réception de Vatican II, Paris, Le Cerf, 1985, p. 107.

29. Relatio super priori schemati legis ecclesiae fundamentalis, Vatican 1971, p.66. On notera toutefois que ecclesia peculiaris n'est employé qu'une seule fois (Christus Dominus 36. l).

30. La Constitution apostolique Sacrae disciplinae leges par laquelle Jean-Paul II a promulgué le nouveau Code invite expressément le théologien à user de cette liberté quand il écrit: "Puisqu'il n'est pas possible de traduire parfaitement en langage canonique l'image conciliaire de l'Église, le Code doit toujours être référé à cette image comme à son exemplaire primordial".

31. H. de Lubac, Les Églises particulières dans l'Église universelle, Paris, Aubier, 197 1, p. 54.

32. Cf. sur ce thème notre travail déjà ancien H. Legrand, Inverser Babel, mission de l'Église, Spiritus 11 (1970), p. 323-346, même si à l'époque nous mesurions mal ces questions de terminologie.

33. Cf. G. Routhier, "Église locale ou Église particulière: querelle sémantique ou option théologique?", Studia canonica 25 (1991) p. 277-344.

34. Encore en 1964, un évêque catholique, pourtant nommé directement dans 98% des cas par le Saint-Siège, n'était pas crédité d'être capable de décider par lui-même si tel prêtre de son diocèse pouvait biner le dimanche: il devait obtenir ce pouvoir de Rome qui le lui accordait pour cinq ans. Dans la liste des fàcultés quinquennales "concédées" définitivement par Paul VI aux évêques, on trouve également celui de "faire laver des purificatoires et des palles par des religleuses prima quoque ablutione". Cf. la liste complète des pouvoirs de ce type concédés par Paul VI aux évêques, Pastorale munus, AAS 66 (164), 5-12.

35. Renvoyons à l'analyse systématique que nous en avons faite pas longuement dans H. Legrand, "Collégialité des évêques et communion des Églises dans la réception de Vatican II", Revue des sciences philosophiques et théologiques 75 (1991), p. 545-568.

36. Cette option a eu le soutien compréhensible de nombreux évêques auxiliaires qui, à l'époque, n'étaient pas même toujours vicaires généraux dans le diocèse où ils exerçaient leur ministère. G. Philips, L'Église et son mystère au IIe concile du Vatican, t. I, Paris 1967, p. 289 explique que "vi consecratione" signifie "en vertu de la consécration", tandis que "communione" à l'ablatif signifie "moyennant la communion".

37. La première est d'introduire une grave distorsion clans la compréhension de la succession apostolique qui devient une qualification individuelle et/ou collégiale, qui ne s'articule plus suffisamment à la communion ecclésiale: le fait que selon la dernière édition de l'Annuario Pontificio, 43% des évêques catholiques ne soient pas effectivement à la tête d'un diocèse (dont 17% seulement sont des émérites) en dit long sur cette conception que l'on commence à théoriser, cf. la note 55 d'Apostolos suos qui en prend argument en écrivant "comme il est évident pour tous, il y a de nombreux évêques qui ne sont pas à la tête d'une Eglise particulière".

38. Mais on sait qu'il peut y avoir trois siècles entre deux conciles œcuméniques, par ex. entre Vatican I et Trente.

39. Un seul exemple suffira: si l'on est informé des multiples questions théologiques résultant de l'effondrement de l'androcentrisme dans l'ensemble de la culture occidentale, peut-on imaginer qu'elles puissent être résolues par un évêque dans son dialogue avec le Saint-Siège ou même dans un dialogue, mettons entre la conférence épiscopale des USA ou du Canada et le Saint-Siège? L'implication d'Eglises d'autres régions du monde permettrait une approche plus large et plus complexe.

40. Pars est évidemment à traduire ici par région (comme dans l'expression in partibus infidelium) et non par partie comme le fait Le Cardinal Garrone dans sa traduction des Editions du Centurion.

41. Ici encore l'inertie peut se comprendre aussi à partir du traitement inadéquat du concept de collégialité à Vatican II, qui ne mentionne jamais que le pape est l'évêque de Rome, sauf dans une incise historique (LG 22), ni le patriarche d'Occident. Sur ce dernier point cf. Y. Congar, "Le pape patriarche d'Occident. Approches d'une réalité trop négligée", Istina 28 (1983), p. 374-390. On verra en sens inverse A. Garuti. Il papa patriarca d'Occidente ? Studio storico-dottrinale, Bologne 1990, pour qui ce titre n'a aucun contenu.

42. Cf. son n. 26: "le ministère ordonné devrait être exercé selon un mode personnel, un mode collégial et communautaire" (qu'on peut traduire aussi par synodal). Il rappelle que ces trois modes sont à la fois scripturaires et traditionnels et il conclut "en conséquence, nous estimons que, sous certaines conditions à préciser, ils (chacun de ces modes d'exercice de l'autorité) devront prendre simultanément leur place dans l'organisation de l'Église réunie".

43. BSLK I, 239-240; dans Birmelé-Lienhard, La foi des Églises luthériennes, confessions et catéchismes, Paris, Éd. du Cerf, 1991, P. 159 (n. 188).

44. Dans Le droit actuel la prééminence des sources législatives (en provenance du législateur suprême) par rapport aux sources confessantes et sacramentelles, par conséquent locales ou régionales, renvoie au problème d'une théologie du droit canonique, toujours aussi urgent qu'il y a trente ans, lorsque L. Bouyer portait au début des années 70 un diagnostic assez grinçant sur l'état du droit canonique comme discipline: "qui en est arrivé, trop souvent, à se réduire à une casuistique sans horizon, appuyé sur un commentaire seulement littéral du Codex et des décisions des congrégations romaines. Ce n'est pas jeter le droit par dessus bord qui nous tirera de cette situation désastreuse, mais seulement une étude historique et théologique de la tradition canonique [...]. Supposer que nous pourrions aujourd'hui, dans l'Église catholique, édifier une ecclésiologie satisfaisante, et en particulier d'orientation œcuménique, sans avoir à nous engager dans de telles recherches est une chimère qu'on peut qualifier de catastrophique", L'Église de Dieu, Paris, Le Cerf, 1970, p. 209. On se permet de renvoyer à notre petit essai sur la question: H. Legrand, Grâce et institution dans l'Église: les fondements théologiques du droit canonique, dans J.-L. Monneron et alii, L'Église institution et foi, Bruxelles, Facultés universitaires Saint Louis, 11979. 31993, p. 139-172.

45. C'est ainsi que Jean-Paul II ayant demandé l'aide des autres chrétiens pour redéfinir "évidemment ensemble" (Ut unum sint n. 95), et soulignant "je ne puis le faire seul" (ibid. n. 96), il serait paradoxal d'affirmer que seul le pape a, en tant que successeur de Pierre, l'autorité et la compétence nécessaire pour dire l'ultime parole sur les modalités d'exercice de son ministère pastoral dans l'Église universelle; c'est pourquoi les Réflexions de la Congrégation pour la Doctrine de la foi sur La primauté de Pierre dans le mystère de l'Église, ont ajouté à cette déclaration une parenthèse au n. 13: "(ou le pape avec le concile œcuménique)", Osservatore romano du 31-10-1998, DC 95 (1998) 1019. Responsables de la communion entre les Églises, les évêques catholiques et orthodoxes réunis dans an même concile œcuménique sont en effet l'instance requise pour une nouvelle réception du ministère primatial dans l'Église entière.

46. Cette nécessaire collaboration entre tous a déjà été illustrée avec la clarté désirable dans les Dialogues d'Anselme de Havelberg et de Nicétas de Nicomédie, en 1136, 60 ans après la rédaction des Dictatus papae dont un tiers des propositions comporte littéralement le mot seul rapporté au pape, les autres propositions ayant l'idée (Dictatus Papae, in Fliche et Martin t. 8, p.79-80). Le message fut clairement reçu en Orient puisque Nicétas récuse devant Anselme que "l'évêque de Rome […] puisse nous diriger, nous et nos Églises, sans prendre nos avis […] et régner sur nous d'après son propre jugement et son bon plaisir […]. D'après tes dires, il est au-dessus de tous. Qu'il soit alors le seul pasteur, le seul évêque, le seul docteur, le seul éducateur, qu'il soit seul au-dessus de qui lui a été confié à lui seul. Qu'il en prenne la responsabilité devant Dieu, à titre d'unique Bon Berger; mais si, dans la Vigne du Seigneur, il veut avoir des collaborateurs, que, sans nuire à sa primauté, il [...] ne méprise pas ses frères, que la vérité du Christ a engendrés, non pour l'esclavage mais pour la liberté dans le sein de la Mère Eglise" (PL 188, p. 1218-1219).

47. Nous avons essayé naguère de fonder ce concept, cf. H. Legrand, "Le développement d'Églises sujets à la suite de Vatican II. Fondements théologiques et réflexion institutionnelles" dans G. Alberigo (éd.), Les Églises après Vatican II. Dynamisme et perspectives. Paris 1981, p. 149-184.

48. Cf. supra notes 42 et 43.

49. C'est une idée que le théologien J. Ratzinger a souvent exprimée et qu'il a reprise devenu cardinal par ex.: "c'est une tragédie que Rome ne soit pas parvenue à détacher la charge apostolique (pétrinienne) de l'idée patriarcale, de telle sorte qu'elle a présenté à l'Orient une revendication qui, sous cette forme, ne pouvait être admise et n'avait pas à l'être par lui", Le nouveau peuple de Dieu, Paris 1971, p. 56-57; il reprend l'idée dans Theologische Prinzipienlehre. Bausteine zur Fundantentaltheologie. Munich, 1982. On remarquera que Vatican II a attribué non au droit ecclésiastique mais "à la divine Providence" la genèse des patriarcats, cf. O. Rousseau, "Divina autem Providentia, Histoire d'une phrase de Vatican II". in Mélanges Philips, cit. supra n.27, p. 281-289. On notera que cette perspective est rejetée par I. Zuzek, "The Authority and Jurisdiction in the Oriental Catholic Tradition", dans A. Stirnemann and J. Wilflinger. The Vienna Dialogue. Five Pro Oriente Consultations with Oriental Orthodoxy. Jurisdiction. Fourth Study Seminar, (Booklet n. 9), Vienne, 1998, p. 101-114. L'ancien secrétaire de la codification orientale s'y appuie sur Garuti, cit. supra note 41: à ce symposium où nous participions, il n'a pas réussi à faire partager son point de vue, cf. les Minutes du même volume.

50. Une toute dernière manifestation s'en trouve sous la plume de l'évêque auxiliaire de Vienne H. Krätzl, "Sinodi: un passo avanti, due indietro", Il Regno 44 (1999), p. 78-80.

51. Cf. Y. Congar, "Remarques sur le concile comme assemblée et sur la conciliarité foncière de l'Église", in Le Concile au jour le jour, Paris, Le Cerf, 1964, p. 9-39.

52. Cf. l'évêque W. KASPER: "Toutes les attentes légitimes n'ont pas trouvé leur satisfaction après Vatican II: plus de collégialité, de participation et de coresponsabilité, plus de circulation et de transparence dans les processus de décision que ce qui existe aujourd'hui dans notre Église. Encore une fois: la réception du Concile n'en est qu'à ses commencements." La théologie et l'Église, Paris, Éd. du Cerf, 1990, p. 405.

53. Jean-Paul II, Tertio millenio adveniente n.33: "L'Église ne peut passer le seuil du nouveau millénaire sans inciter ses fils à se purifier dans la repentance des erreurs, des infidélités, des incohérences, des lenteurs. Reconnaître les fléchissements d'hier est un acte de loyauté et de courage qui nous aide à renforcer notre foi." DC 91 (1994), 1025.